Sur plus de trois siècles, cette histoire du monde ouvrier européen rappelle ce que nos sociétés doivent aux luttes des « damnés de la terre ».
Deuxième volet : de la Belgique, devenue « le paradis des capitalistes » et l’enfer des travailleurs, aux grandes insurrections françaises qui font trembler l’Europe de 1830 à 1871.
En Europe continentale, seule la Belgique adopte le » Factory System » et le libéralisme absolu à l’anglaise, devenant ainsi au milieu du XIXe siècle « le paradis des capitalistes » et l’enfer des travailleurs. La France, elle, accomplit au ralenti sa révolution industrielle, sans grandes usines ni exode rural massif, sans destruction brutale des modes de vie anciens. Les ouvriers (tailleurs, ébénistes, maçons…) travaillent à une échelle quasi artisanale pour de petites fabriques. C’est pourtant dans ce milieu que vont naître et se propager toutes les théories socialistes du siècle, sous les plumes des Fourier, Proudhon, Blanqui, Cabet – inventeur du premier « communisme ». Autant d’utopies irréalisables aux yeux du jeune penseur allemand Karl Marx, exilé à Londres et tenant d’un socialisme scientifique.
De 1830 à 1871, cette classe ouvrière atypique se lance dans de grandes insurrections qui font trembler l’Europe. Toutes échouent. La dernière, la Commune de Paris, proclame la République universelle, adopte le drapeau rouge, crée des coopératives ouvrières et instaure l’école gratuite et laïque. Elle résiste soixante-douze jours avant d’être écrasée. Sa défaite coïncide avec l’industrialisation à marche forcée de l’Italie et de l’Allemagne, pressées d’affirmer leur modernité et leur puissance. Premier parti ouvrier de masse de l’histoire, le parti social-démocrate allemand (SPD) fait du marxisme sa doctrine officielle, mais dans une optique réformiste qui remet la révolution à plus tard. Tandis que les conditions de vie et de travail, mais aussi les droits syndicaux et politiques progressent lentement, une nouvelle image de la classe ouvrière apparaît : celle de l’armée des travailleurs des temps modernes.
Temps complet
La classe ouvrière a-t-elle disparu, ou simplement changé de forme, de nom, de rêve ? Conciliant l’audace et la rigueur historique, l’humour et l’émotion, le détail signifiant et le souffle épique, Stan Neumann (« Austerlitz », « Lénine » », « »Gorki » » – « »La révolution à contre-temps ») livre une éblouissante relecture de trois cents ans d’histoire. Faisant vibrer la mémoire des lieux et la beauté des archives, célébrissimes ou méconnues, il parvient à synthétiser avec fluidité une étonnante quantité d’information. Les séquences d’animation, ludiques et inventives, et un commentaire dit par la voix à la fois présente et discrète de Bernard Lavilliers permettent de passer sans se perdre d’un temps à l’autre : celui du travail, compté hier comme aujourd’hui minute par minute, celui des grands événements historiques, et celui, enfin, des changements sociaux ou techniques étalés parfois sur plusieurs décennies, comme le processus de légalisation des syndicats ou du travail à la chaîne. En parallèle, le réalisateur donne la parole à des ouvriers et ouvrières d’aujourd’hui et à une douzaine d’historiens et philosophes, hommes et femmes, « personnages » à part entière dont la passion communicative rythme le récit. On peut citer Jacques Rancière, Marion Fontaine, Alessandro Portelli, Arthur McIvor, Stefan Berger, avec Xavier Vigna comme conseiller scientifique de l’ensemble des épisodes. Cette série documentaire virtuose, où l’expérience intime coexiste avec la mémoire collective, au risque parfois de la contredire, révèle ainsi combien nos sociétés contemporaines ont été façonnées par l’histoire des ouvriers.