Cadres : une fonction aux frontières de plus en plus floues

Près de 40 % des cadres sont des femmes (privé et public).

Dans un contexte d’élargissement des missions liées à la fonction, une étude de France Stratégie montre que la différence entre cadres et non-cadres s’estompe.

Article de Colette Aubert 13 juillet 2020 (Source Les Echos)

Les frontières entre cadres et non-cadres sont de plus en plus poreuses. C’est le bilan que dresse France Stratégie, le centre de réflexion rattaché à Matignon, dans une récente étude . Alors que le nombre de cadres a explosé depuis 1993 – ils étaient plus de 4,6 millions en 2016 – et que les partenaires sociaux ont signé en juin dernier un Accord national interprofessionnel précisant la définition de la fonction, cette dernière se métamorphose.

De plus en plus de salariés non-cadres sont associés aux prises de décision, affirme France Stratégie, qui souligne que « certains experts sans fonction hiérarchique et non-cadres avec des fonctions managériales coexistent ». Le phénomène est d’autant plus marqué dans les PME que « la délégation y est plus forte », confirme le secrétaire général de la CFE-CGC, Gérard Mardiné.

Des missions changeantes

L’abandon progressif de l’organisation hiérarchique pyramidale dans certaines entreprises ainsi que les nouvelles technologies ont contribué à la redéfinition de l’encadrement. « Les managers ont de nouvelles missions, notamment celle de gérer des collaborateurs à distance », poursuit Gérard Mardiné. On attend d’eux qu’ils connaissent la complexité de la tâche qu’ils allouent. »

Le rapport, lui, souligne que le cadre est davantage devenu un « planneur » (en charge de la planification et de la coordination des actions) : la fonction d’encadrement au sens premier n’est plus une de ses prérogatives inhérentes, et tous n’ont pas de responsabilités de direction. En 2016, 68 % des cadres supervisaient le travail d’autres salariés mais seuls 34 % en faisaient leur activité principale, d’après France Stratégie. Le phénomène découle d’une réelle déclinaison de la profession. Les cadres peuvent être encadrants, mais aussi cadres experts, planneurs ou dirigeants.

Moins d’avantages

Le rapprochement des cadres avec les non-cadres passe aussi par la réduction des avantages qui leur étaient autrefois réservés. Le rapport met en avant la fusion de l’Association Générale des Institutions de Retraite Complémentaire des Cadres (AGIRC) avec l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARCCO) en 2019, ainsi que la faible différenciation en termes de préavis de licenciement ou de départs à la retraite. La diminution des privilèges liés à la profession pose donc la question de l’attractivité ; alors que les cadres sont souvent confrontés à des risques financiers non négligeables, France Stratégie rappelle que « la redéfinition des modes d’identification » et la difficile « reconnaissance du statut juridique » peuvent « amener de nouveaux candidats à ne plus désirer ces responsabilités ».

Prérogatives spécifiques

Pourtant, la fonction de cadre continue de se distinguer par une marge d’autonomie plus large, un temps de travail majoré comparé au reste des salariés, et une perméabilité entre sphère privée et professionnelle plus importante. Une charge mentale qui s’est accrue pendant la crise du Covid-19.

En outre, l’accès à la fonction reste conditionné à plusieurs critères socio-démographiques. « Etre diplômé bac+5 accroît très fortement la probabilité d’être cadre », souligne France Stratégie. La légitimité de poste se retrouve aussi dans le salaire : la rémunération moyenne mensuelle nette des cadres à temps complet (public et privé) est environ le double de celle des non-cadres. D’après une étude de l’APEC, le salaire médian des cadres en poste (salaire fixe + part variable) s’établit à 50.000 euros annuels.

Les évolutions sont donc nettes même si encore timides. Comme le rappelle Gérard Mardiné, « dans un certain nombre d’entreprises, les dirigeants continuent de penser qu’il y a ceux qui prennent les décisions, et les exécutants ».

L’Accord national interprofessionnel (ANI)

Signé par tous les partenaires sociaux en juin 2020 après deux ans de négociation, l’ANI vise à préciser les spécificités de la fonction de cadre, et à « proposer aux entreprises un outil de réflexion leur permettant d’appréhender les enjeux de la transformation de la fonction. » L’ANI préconise également le renforcement de l’APEC, l’accès amélioré à la formation et à l’apprentissage et le recours au bilan de compétences.

Quelle évolution des droits à l’assurance chômage ? (1979-2020)

L’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) en partenariat avec la CGT a réalisé une enquête sur l’évolution de l’assurance chômage dans les quarante dernières  années.

Les chercheurs en sociologie, Mathieu Grégoire, Claire Vivés et Jérôme Deyris ont travaillé, pendant 2 ans, sur un « calculateur des droits » qui permet de mettre au jour l’évolution des droits à assurance chômage depuis 1979 jusqu’aux règles édictées en 2019. Jamais réalisée auparavant, l’étude modélise ainsi toute situation individuelle pour comparer la durée et le montant des allocations (ou leur disparition) d’une réglementation à l’autre. Pour y accéder, cliquer ICI

Cette étude démontre la baisse scandaleuse des droits à l’assurance chômage. De façon très précise, en effet, elle révèle que les droits des personnes qui alternent petits boulots (CDD de plus en plus courts, saisonniers, intérimaires, intermittents hors spectacle…) se sont dégradés, sous l’effet de différentes conventions, notamment depuis 2011 et, surtout, s’effondrent avec la réglementation 2019 imposée par le gouvernement.

Pour comprendre l’évolution des droits à l’assurance chômage depuis 1979, le rapport débute par une étude sur l’évolution sur 40 ans du taux de couverture en reconstituant des séries inédites et montrant notamment que la part des chômeurs indemnisés n’a jamais été aussi basse qu’à la fin des années 2010 (chapitre 1). Dans un second temps, l’étude retrace l’évolution de la règlementation de 1979 à 2019 (chapitre 2).
Le rapport présente ensuite (chapitres 3 à 6) le cœur de cette recherche : la construction d’un simulateur destiné à objectiver l’évolution des droits pour des profils particuliers de salariés. L’outil permet de calculer, pour tout cas constitué d’une trajectoire particulière d’emploi-chômage de 120 mois, les droits générés, mois par mois, dans le cadre de chacune des 10 principales conventions retenues entre 1979 et 2019. Il permet ainsi à la fois d’étudier les droits pour des trajectoires d’emploi très diverses et de comparer ces droits pour quarante ans de réglementation. Trois principaux types de trajectoires sont étudiés : les trajectoires des salariés stables, celles des salariés à l’emploi discontinu ayant des contrats de plus d’un mois et celles des salariés à l’emploi discontinu ayant des contrats de moins d’un mois.
L’étude donne ainsi à voir des dynamiques de l’indemnisation du chômage qui échappent, pour partie, à une analyse fondée sur les seules évolutions, réformes après réformes, des règles d’indemnisation. Elle montre notamment une inversion complète, entre 1979 et 2019, de la hiérarchie de l’indemnisation pour les salariés à l’emploi discontinu les plus précaires. Alors que ceux qui étaient les plus exposés au chômage en 1979 étaient les plus indemnisés, c’est l’inverse qui se produit en 2019 : leur indemnisation est d’autant plus forte que leur chômage est faible. Aussi cette étude permet-elle de s’interroger sur une transformation profonde du dispositif d’indemnisation du chômage qui, pour ces salariés, relève désormais moins d’une logique d’assurance face à un risque que de ce celle d’un compte d’épargne ou d’une prime pour l’emploi.
Elle donne aussi à voir à quel point la réforme de 2019 est constitutive d’un effondrement historique de l’indemnisation pour les salariés à l’emploi discontinu.